ALIGHIERO BOETTI (1940-1994)
Oggi il decimo giorno dell'ottavo mese dell'anno millenovecento ottantotto accanto al Pantheon
1988

daté 10 agosto 88 au revers
broderie sur toile

dated 10 agosto 88 on the reverse
embroidery on canvas

114 x 106 cm.
44 7/8 x 41 3/4 in.
Footnotes:
Provenance
Galleria Christian Stein, Milan
Collection particulière, Europe (acquis auprès de celle-ci en 2014)
Acquis auprès de celle-ci par le propriétaire actuel



D'une beauté énigmatique et constellaire, les Arazzid'Alighiero e Boetti sont une révélation picturale empreinte d'une gestuelle à la maturation lente et d'une imprévisibilité éclatante. Leur imagerie fractale délicieuse désoriente, comme pour intimer un rapprochement à celui qui les observe. Chaque fragment de couleur, autonome et relié, participe d'un ordonnancement qui vient faire danser poétiquement la géométrie ; chaque éclat de couleur procédant d'un petit miracle.
Dans ces œuvres brodées, rêve de possession de tout collectionneur, la multiplicité répond à la dualité, comme le jeu aime à se jouer de la mesure. Pour l'artiste qui décida, en 1968, de dissocier son nom en apposant la conjonction de coordination « e », la question du double revêt une importance toute particulière.
Un an auparavant, la célèbre galerie Christian Stein de Turin lui consacre sa première exposition personnelle où ses œuvres révèlent déjà un goût certain pour la juxtaposition formelle. Quelques mois plus tard, le peintre participe à l'exposition collective Arte Povera, sous l'égide du critique d'art Germano Celant, auprès de Mario Merz, Jannis Kounellis, Michelangelo Pistoletto, Luciano Fabro et Giulio Paolini. Cette exposition scellera le nom du mouvement éponyme, qui fut l'un des plus importants de la seconde moitié du XXe siècle. Revendiquant une attitude socialement engagée contre la société de consommation, les œuvres de ce groupe participèrent à un renouvellement du langage artistique.
Chez Boetti, si le processus de création prime sur l'objet fini, de même que le concept sur la dimension esthétique ou narrative d'une œuvre, l'essence de son art émane d'une poésie singulière et hypnotisante qui consiste à introduire le désordre de la subjectivité dans l'ordre de la règle. Parce que le public n'aime rien tant que les odes à l'enfance, la rétrospective itinérante qui lui est consacrée Alighiero e Boetti : Game Plan au Museo Reina Sofia de Madrid, à la Tate Modern de Londres et au MoMA de New York, en 2011-2012, rencontrera un succès sans précédent. Ses œuvres sont aujourd'hui présentes dans les plus grandes institutions internationales.
L'humour, comme éthique de création, que l'artiste a en partage avec Marcel Broodthaers, Robert Filliou ou le mouvement Fluxus, se révèle tout particulièrement dans ses grandes broderies. S'il est à l'origine du motif - dans notre œuvre, Boetti était à côté du Panthéon à Rome en ce jour de 1988 – la main du peintre s'éclipse pour laisser le soin de la confection, minutieuse, à ces femmes brodeuses qu'il rencontra en Afghanistan (l'artiste acquit un hôtel à Kaboul dans les années 1970). Celles-ci se déplaceront au Pakistan, dès 1979, suite à l'invasion de l'URSS. L'Afghanistan et le Pakistan sont des pays pour lesquels il développera un engagement profond et avec lesquels il travaillera de 1971 à 1994.
Un dialogue interculturel perle de ce travail, où les fils amoureusement s'entrelacent, où les lettres s'éclairent, où les mots, un instant saisis, à notre compréhension se dérobent. Chaque fragment (chaque lettre a son indépendance formelle) explore les possibilités combinatoires des ensembles dans une matrice géométrique, où s'allient et se déjouent intimement la règle et le jeu. Dans un cache-cache visuel grisant, les aphorismes, proverbes ou extraits de poème se dévoilent sous les lois mathématiques du carré magique, hérité de la grande tradition arabe. Dans cette œuvre, se devinent malicieusement ses aphorismes les plus connus : Il certo e l'incerto / Essenza e sostanza / Per nuovi desideri / Fuso ma non confuso / Immaginando tutto / Dare tempo al tempo etc. La ligne écrite en farsi, quant à elle, restera obscure pour le spectateur occidental ; mais cette résistance n'est-elle pas ce qui nous attire éperdument ?
Entre révélation et disparition, jaillissement des couleurs et retenue de la matérialité, cette œuvre majestueuse invite à un sentiment mêlé d'exaltation et de recueillement. Parce que Boetti est un poète, qui réussit à transmuer le sensible en intelligible, celui-ci nous révèle le chemin qui fonde tout art, celui d'aller au-delà du merveilleux pour chercher ce qui procède de l'intelligence et de l'humilité : l'émerveillement.


With their enigmatic, cosmic beauty, Alighiero e Boetti's Arazzi are a pictorial revelation, made up of slowly maturing gestures and dazzling unpredictability. Their delightful fractal imagery is disorientating, somehow urging the viewer to come closer. Each fragment of colour, at once independent and linked, contributes to the overall pattern rousing geometry into a poetic dance; each burst of colour is the result of a small miracle.
In these embroidered works, a collector's dream of possession, multiplicity responds to duality, just as the game makes light of measure. In 1968, the artist decided to dissociate his name by adding the coordinating conjunction 'e', indeed to him the question of the double is of particular importance.
A year earlier, the renowned Christian Stein Gallery in Turin granted him his first solo exhibition, already his works revealed a significant penchant for formal juxtaposition. A few months later, the painter took part in the group exhibition Arte Povera, curated by the art critic Germano Celant, alongside Mario Merz, Jannis Kounellis, Michelangelo Pistoletto, Luciano Fabro and Giulio Paolini. This exhibition sealed the name of the eponymous movement, which was among the most important of the second half of the twentieth century. Claiming a socially committed stance against the consumer society, the works of this group contributed a novel artistic language.
For Boetti, while the creative process takes precedence over the finished object and the concept over the aesthetic or narrative dimension of a work, the essence of his art lies in his singular and hypnotic poetics which consists in introducing the disorder of subjectivity into the order of the rule. Since the public loves nothing more than odes to childhood, the touring retrospective devoted to him, Alighiero e Boetti: Game Plan, at the Museo Reina Sofia in Madrid, the Tate Modern in London and the MoMA in New York in 2011-2012, met an unprecedented success. His works are collected in some of the world's leading institutions.
Humour, as a creative ethic, which the artist shares with Marcel Broodthaers, Robert Filliou and the Fluxus movement, is particularly evident in his large-scale embroideries. Although he is the inventor of the motif—in our work, Boetti was standing next to the Pantheon in Rome on that day in 1988—the painter's hand withdraws to leave the meticulous task of fabrication to the women embroiderers he met in Afghanistan (the artist bought a hotel in Kabul in the 1970s). They moved to Pakistan in 1979, following the invasion of the USSR. Afghanistan and Pakistan are countries to which he developed a deep commitment, and with which he worked from 1971 to 1994.
An intercultural dialogue is thus woven, in which threads lovingly intertwine, letters shimmer, and words, once grasped, instantly escape our understanding. Each fragment (each letter has its own formal independence) explores the combinatory possibilities of various groups within a geometric grid, in which rule and game are at once combined and thwarted. In an exhilarating visual hide-and-seek, aphorisms, proverbs and extracts from poems appear following the mathematical laws of the magic square, inherited from the great Arab tradition. In this work, his best-known aphorisms are mischievously concealed: Il certo e l'incerto / Essenza e sostanza / Per nuovi desideri / Fuso ma non confuso / Immaginando tutto / Dare tempo al tempo, and so on. The line written in Farsi, on the other hand, will remain obscure to the Western spectator; but is it not such resistance that captivates us so?
Balancing appearance and disappearance, lavish colours and unassuming materials, this majestic oeuvre inspires emotions blending exaltation and contemplation. Since Boetti is a poet who succeeds in transmuting the sensitive into the intelligible, he discloses the path fundamental to all art, for gazing beyond the marvellous one may encounter at the confluence of intelligence and humility: Wonder.
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